Libérer du temps hors écrans, c’est parfois la naissance d’une vocation !
Le hasard fait bien les choses !
Il y a près de deux ans, j’ai eu la chance de faire une rencontre des plus intéressantes.
J’étais
dans un TGV vers Paris, pour participer à une réunion importante dans
le cadre de notre grande mobilisation pour interdire l’usage des
smartphones à l’école.
Assis à côté de moi, un jeune homme
visiblement talentueux. Intrigué par l’habileté avec laquelle mon voisin
enchaînait ses coups de “crayon” sur tablette graphique, j’ai engagé la
conversation. Puis il m’a montré quelques croquis, dont j’ai beaucoup
aimé le style.
Très vite, nos discussions ont tourné autour… des écrans !
Depuis ce temps-là, Louis n’est autre que l’illustrateur de mes lettres diffusées par e-mail. Vous aurez remarqué sa signature “Bouxom”, son nom de famille, en bas à droite des dessins.
Eh
oui ! Avec talent et humour, ses illustrations colorées apportent un
peu de vie aux infos, alertes et conseils que je vous envoie.
Une vie inspirante
Le parcours de Louis Bouxom, désormais architecte, est étonnant. Il donne raison aux règles parfois strictes de certains parents. De quoi s’inspirer ou déculpabiliser.
Sa
relation délicate avec les écrans durant son enfance et son adolescence
a eu un fort impact sur ses aptitudes, ses passions et son avenir
professionnel.
Mais le mieux est que je vous laisse découvrir son témoignage. J’ai juste ajouté quelques sous-titres.
TÉMOIGNAGE DE LOUIS BOUXOM
Pas de télé ?
Je n’ai jamais eu, je n’ai pas et n’aurai probablement jamais de télé.
Petit,
quand j’invitais des amis à la maison, j’avais droit aux inévitables : «
Et elle est où ta télé ? », « Mais alors, tu fais quoi de tes
week-ends ? »
Mes parents ont toujours refusé
d’installer la télévision à la maison, et pour être franc, aucun de
nous, les enfants, ne la réclamait.
Nous avions tout de
même un lecteur de cassettes VHS branché à un vieux poste aux coins
ronds et au verre aussi bombé qu’un bocal à poissons rouges. L’appareil
était enfoncé dans une sombre armoire, ce qui rendait les séances Disney
assez inconfortables.
Cinéma à la maison
Plus tard, mon père installa un vidéoprojecteur. Le futur débarquait d’un coup chez nous !
Nous
pouvions alors regarder les classiques sur le grand écran déroulant
dans le séjour. Je pense que cela a profondément impacté mon rapport au
cinéma.
Un film n’était pas un programme qu’on pouvait
zapper. C’était un événement. Et pour cause, cela nécessitait une vraie
logistique : choisir le film (à cinq dans la famille, c’est pas
évident...), installer les fauteuils, descendre l’écran, mettre en place
le vidéoprojecteur, faire la mise au point, installer la sono, faire le
noir, et enfin, profiter.
Avec un tel cérémonial, un
film se méritait. Et je pense que cette chance, cette fierté même,
d’avoir notre propre cinéma à la maison, compensait l’absence de télé.
Machines à crétins ?
Quand
on parle d’écrans, on ne parle pas que de la télé. Bien au contraire !
La télévision, c’est à mon avis l’écran le moins indispensable
aujourd’hui aux yeux de tous !
Aujourd’hui, presque n’importe quel objet connecté remplace la télé.
Ayant
grandi dans les années 90, mes parents n’ont pas échappé à l’inévitable
demande : « Maman, je veux m’acheter une Gameboy ». Le « maman » est
important. Je n’aurais JAMAIS osé le demander à mon père.
Car
je connaissais parfaitement son opinion vis-à-vis des « machines à
crétins ». Toute demande était vouée à l’échec, avec un sermon en prime.
Je me tournais donc vers ma compréhensive maman qui me retournait un «
NON » tout aussi catégorique.
Dépité, je prenais mon mal
en patience et retentais le coup plusieurs mois plus tard, à la faveur
d’un bon bulletin. La réponse restait la même, malgré toutes mes
tentatives de culpabilisation. Du coup, pas de Gameboy, pas de
Playstation, pas de Nintendo…
À la place, des Legos, des figurines, des crayons, des feuilles et du temps pour s’ennuyer.
- Maman, je m’ennuie !
- C’est bien ! C’est important de s’ennuyer !
Heureusement, avec de quoi dessiner sous la main, je ne m’ennuyais jamais bien longtemps.
Nouveauté et créativité
Les
écrans ont un immense avantage : ils apportent sans cesse de la
nouveauté. Un nouveau podcast, un nouvel épisode, un nouveau jeu. Aucun
effort à fournir, la nouveauté nous tombe tout cuit dans le bec.
Les
Legos, et c’est là leur « défaut », ne se construisent pas tout seuls.
La feuille reste blanche si l’on ne fait pas l’effort de la remplir.
Comme tout enfant, j’avais sans cesse besoin de nouveauté, mais aucune nouveauté ne me tombait dessus.
Quand
j’avais terminé de lire une BD, aucun algorithme ne me conseillait une
autre BD à lire. Je connaissais toutes les BD de la maison, et la «
nouveauté » ne pouvait être espérée qu’à Noël ou à un anniversaire. Bien
insuffisant…
Alors la magie a opéré. S’il n’y a personne pour m’apporter la nouveauté, je la créerai moi-même !
Ainsi est apparu mon goût pour le dessin.
J’avais
trouvé « Charlie » dans tous mes albums ? Je dessinerai mes propres
albums ! (véridique, ma mère garde jalousement 3 tomes « Où est Charlie »
entièrement dessinés à la main).
Le trait s’affirme...
Première
expérience au stylo bic. Bien plus précis que le feutre, bien plus
lisible que le crayon. Mais attention, pas de gomme possible ! Je ne
compte plus les pages rageusement déchirées à cause d’un trait raté en
fin de dessin…
Puis le trait est devenu plus assuré, plus précis. La technique a remplacé la gomme.
Les
copies d’Uderzo deviennent de plus en plus fidèles ; les Schtroumpfs,
plus vrais que nature. Et je ne me contentais pas de recopier. Il me
fallait leur inventer de nouvelles histoires.
Je
n’avais pas eu ma « dose » de Mario en sortant de chez un copain ? Pas
de souci, je redessinais le plombier moustachu dans un monde que je lui
créais.
Dessinateur, ingénieur, architecte...
Pas assez de Jedi dans Starwars à mon goût ?
Tac !
En voilà un tout neuf avec un double sabre laser comme Dark Maul, mais
vert. Et puis tiens, je vais dessiner un plan de son vaisseau amiral
avec toutes les pièces, de la cabine du capitaine à la réserve de
carburant, en passant par le cinéma du personnel et les cuisines.
Ah
oui mais mince… Comment ravitailler les cuisines ? Hop, voilà un
monte-charge. D’ailleurs, comment ça se dessine un monte-charge ? Y a
une poulie là-haut ? Un piston en bas ? « Papa ! Comment ça marche un
monte-charge ? »
J’ai toujours pensé que si tous les
objets disparaissaient, on demanderait à un dessinateur de tout
reconstruire. Car un objet, si on sait le dessiner, on sait comment il
marche.
Si je suis devenu architecte, ma passion pour le dessin n’y est pas étrangère !
De la chance ou des efforts ?
J’entends souvent cette phrase : « Oh t’as de la chance de savoir dessiner ! ».
Mais ça ne m’est pas tombé dessus…
Chaque
trait que je pose aujourd’hui correspond à des tonnes de feuilles
jetées en boule suite à un nez raté, un œil droit différent du gauche,
un lion ressemblant à une table basse…
Et, quelquefois,
un déclic : « Si quand on sourit, les joues remontent, elles font un
peu plisser les yeux, du coup, si je corrige un peu les yeux de mon
personnage, le sourire sera plus crédible ! Oui, ça marche ! Et c’est la
première fois que je le remarque, mais Gotlib fait sourire ses
personnages comme ça aussi ! »
Moins d’écrans, plus de talents
Je
ne le cacherai pas, l’interdiction des écrans m’a apporté énormément de
frustration quand j’étais plus jeune. Je squattais chez les potes à la
moindre occasion pour espérer profiter moi aussi d’une autorité
parentale moins stricte.
Je rentrais la tête pleine
d’images, et avec un manque à combler. La création prenait alors le pas
sur la consommation. Et ainsi s’est installée la passion du dessin.
Ce qui d’extérieur dégage un sentiment de facilité chez les dessinateurs cache tout simplement de la pratique.
Et cette pratique demande du temps. Du temps que je n’ai pas passé devant les écrans.
Hâte de me faire détester
Mes parents me le répétaient chaque fois : « Un jour, tu nous remercieras ! »
J’étais trop fier pour le reconnaître, mais je savais au fond de moi qu’ils avaient raison.
Je
me livrais à tous les chantages affectifs possibles, mais les parents
ne sont pas bêtes, ils savent bien qu’on ne les déteste pas longtemps.
Et je compte bien m’en inspirer pour mes futurs enfants. Hâte de me faire détester moi aussi !
Louis Bouxom Dessinateur & Architecte
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