dimanche 24 novembre 2019

Libérer du temps hors écrans...


Solutions pour parents,
à l’ère du numérique
SerenWays - Solutions pour une vie sereine

Libérer du temps hors écrans, c’est parfois la naissance d’une vocation !

Maman, Papa, je sais dessiner... une Nintendo Game Boy !

Le hasard fait bien les choses !
Il y a près de deux ans, j’ai eu la chance de faire une rencontre des plus intéressantes.
J’étais dans un TGV vers Paris, pour participer à une réunion importante dans le cadre de notre grande mobilisation pour interdire l’usage des smartphones à l’école.
Assis à côté de moi, un jeune homme visiblement talentueux. Intrigué par l’habileté avec laquelle mon voisin enchaînait ses coups de “crayon” sur tablette graphique, j’ai engagé la conversation. Puis il m’a montré quelques croquis, dont j’ai beaucoup aimé le style.

Très vite, nos discussions ont tourné autour… des écrans !
Depuis ce temps-là, Louis n’est autre que l’illustrateur de mes lettres diffusées par e-mail. Vous aurez remarqué sa signature “Bouxom”, son nom de famille, en bas à droite des dessins.
Eh oui ! Avec talent et humour, ses illustrations colorées apportent un peu de vie aux infos, alertes et conseils que je vous envoie.

Une vie inspirante

Le parcours de Louis Bouxom, désormais architecte, est étonnant. Il donne raison aux règles parfois strictes de certains parents. De quoi s’inspirer ou déculpabiliser.
Sa relation délicate avec les écrans durant son enfance et son adolescence a eu un fort impact sur ses aptitudes, ses passions et son avenir professionnel.
Mais le mieux est que je vous laisse découvrir son témoignage. J’ai juste ajouté quelques sous-titres.


TÉMOIGNAGE DE LOUIS BOUXOM

Pas de télé ?

Je n’ai jamais eu, je n’ai pas et n’aurai probablement jamais de télé.
Petit, quand j’invitais des amis à la maison, j’avais droit aux inévitables : « Et elle est où ta télé ? », « Mais alors, tu fais quoi de tes week-ends ? »
Mes parents ont toujours refusé d’installer la télévision à la maison, et pour être franc, aucun de nous, les enfants, ne la réclamait.
Nous avions tout de même un lecteur de cassettes VHS branché à un vieux poste aux coins ronds et au verre aussi bombé qu’un bocal à poissons rouges. L’appareil était enfoncé dans une sombre armoire, ce qui rendait les séances Disney assez inconfortables.

Cinéma à la maison

Plus tard, mon père installa un vidéoprojecteur. Le futur débarquait d’un coup chez nous !
Nous pouvions alors regarder les classiques sur le grand écran déroulant dans le séjour. Je pense que cela a profondément impacté mon rapport au cinéma.
Un film n’était pas un programme qu’on pouvait zapper. C’était un événement. Et pour cause, cela nécessitait une vraie logistique : choisir le film (à cinq dans la famille, c’est pas évident...), installer les fauteuils, descendre l’écran, mettre en place le vidéoprojecteur, faire la mise au point, installer la sono, faire le noir, et enfin, profiter.
Avec un tel cérémonial, un film se méritait. Et je pense que cette chance, cette fierté même, d’avoir notre propre cinéma à la maison, compensait l’absence de télé.

Machines à crétins ?

Quand on parle d’écrans, on ne parle pas que de la télé. Bien au contraire ! La télévision, c’est à mon avis l’écran le moins indispensable aujourd’hui aux yeux de tous !
Aujourd’hui, presque n’importe quel objet connecté remplace la télé.
Ayant grandi dans les années 90, mes parents n’ont pas échappé à l’inévitable demande : « Maman, je veux m’acheter une Gameboy ». Le « maman » est important. Je n’aurais JAMAIS osé le demander à mon père.
Car je connaissais parfaitement son opinion vis-à-vis des « machines à crétins ». Toute demande était vouée à l’échec, avec un sermon en prime. Je me tournais donc vers ma compréhensive maman qui me retournait un « NON » tout aussi catégorique.
Dépité, je prenais mon mal en patience et retentais le coup plusieurs mois plus tard, à la faveur d’un bon bulletin. La réponse restait la même, malgré toutes mes tentatives de culpabilisation. Du coup, pas de Gameboy, pas de Playstation, pas de Nintendo…

À la place, des Legos, des figurines, des crayons, des feuilles et du temps pour s’ennuyer.
- Maman, je m’ennuie !
- C’est bien ! C’est important de s’ennuyer !
Heureusement, avec de quoi dessiner sous la main, je ne m’ennuyais jamais bien longtemps.

Nouveauté et créativité

Les écrans ont un immense avantage : ils apportent sans cesse de la nouveauté. Un nouveau podcast, un nouvel épisode, un nouveau jeu. Aucun effort à fournir, la nouveauté nous tombe tout cuit dans le bec.
Les Legos, et c’est là leur « défaut », ne se construisent pas tout seuls. La feuille reste blanche si l’on ne fait pas l’effort de la remplir.
Comme tout enfant, j’avais sans cesse besoin de nouveauté, mais aucune nouveauté ne me tombait dessus.
Quand j’avais terminé de lire une BD, aucun algorithme ne me conseillait une autre BD à lire. Je connaissais toutes les BD de la maison, et la « nouveauté » ne pouvait être espérée qu’à Noël ou à un anniversaire. Bien insuffisant…
Alors la magie a opéré. S’il n’y a personne pour m’apporter la nouveauté, je la créerai moi-même !
Ainsi est apparu mon goût pour le dessin.

J’avais trouvé « Charlie » dans tous mes albums ? Je dessinerai mes propres albums ! (véridique, ma mère garde jalousement 3 tomes « Où est Charlie » entièrement dessinés à la main).

Le trait s’affirme...

Première expérience au stylo bic. Bien plus précis que le feutre, bien plus lisible que le crayon. Mais attention, pas de gomme possible ! Je ne compte plus les pages rageusement déchirées à cause d’un trait raté en fin de dessin…
Puis le trait est devenu plus assuré, plus précis. La technique a remplacé la gomme.
Les copies d’Uderzo deviennent de plus en plus fidèles ; les Schtroumpfs, plus vrais que nature. Et je ne me contentais pas de recopier. Il me fallait leur inventer de nouvelles histoires.

Je n’avais pas eu ma « dose » de Mario en sortant de chez un copain ? Pas de souci, je redessinais le plombier moustachu dans un monde que je lui créais.

Dessinateur, ingénieur, architecte...

Pas assez de Jedi dans Starwars à mon goût ?
Tac ! En voilà un tout neuf avec un double sabre laser comme Dark Maul, mais vert. Et puis tiens, je vais dessiner un plan de son vaisseau amiral avec toutes les pièces, de la cabine du capitaine à la réserve de carburant, en passant par le cinéma du personnel et les cuisines.
Ah oui mais mince… Comment ravitailler les cuisines ? Hop, voilà un monte-charge. D’ailleurs, comment ça se dessine un monte-charge ? Y a une poulie là-haut ? Un piston en bas ? « Papa ! Comment ça marche un monte-charge ? »
J’ai toujours pensé que si tous les objets disparaissaient, on demanderait à un dessinateur de tout reconstruire. Car un objet, si on sait le dessiner, on sait comment il marche.
Si je suis devenu architecte, ma passion pour le dessin n’y est pas étrangère !

De la chance ou des efforts ?

J’entends souvent cette phrase : « Oh t’as de la chance de savoir dessiner ! ».
Mais ça ne m’est pas tombé dessus…
Chaque trait que je pose aujourd’hui correspond à des tonnes de feuilles jetées en boule suite à un nez raté, un œil droit différent du gauche, un lion ressemblant à une table basse…
Et, quelquefois, un déclic : « Si quand on sourit, les joues remontent, elles font un peu plisser les yeux, du coup, si je corrige un peu les yeux de mon personnage, le sourire sera plus crédible ! Oui, ça marche ! Et c’est la première fois que je le remarque, mais Gotlib fait sourire ses personnages comme ça aussi ! »

Moins d’écrans, plus de talents

Je ne le cacherai pas, l’interdiction des écrans m’a apporté énormément de frustration quand j’étais plus jeune. Je squattais chez les potes à la moindre occasion pour espérer profiter moi aussi d’une autorité parentale moins stricte.
Je rentrais la tête pleine d’images, et avec un manque à combler. La création prenait alors le pas sur la consommation. Et ainsi s’est installée la passion du dessin.
Ce qui d’extérieur dégage un sentiment de facilité chez les dessinateurs cache tout simplement de la pratique.

Et cette pratique demande du temps. Du temps que je n’ai pas passé devant les écrans.

Hâte de me faire détester

Mes parents me le répétaient chaque fois : « Un jour, tu nous remercieras ! »
J’étais trop fier pour le reconnaître, mais je savais au fond de moi qu’ils avaient raison.
Je me livrais à tous les chantages affectifs possibles, mais les parents ne sont pas bêtes, ils savent bien qu’on ne les déteste pas longtemps.
Et je compte bien m’en inspirer pour mes futurs enfants. Hâte de me faire détester moi aussi !
Louis Bouxom
Dessinateur & Architecte