“Il convient de reconnaître et de
respecter la force et la profondeur du désir de chacune et chacun
d’avoir un enfant, de reconnaître aussi la
capacité qu’a chacune et chacun, en puissance, qu’il soit marié, seul
ou homosexuel, d’élever et d’aimer un enfant. Ce n’est pas cela qui est
jugé aujourd’hui.
En
tant que femme de 39 ans et en tant que femme seule, je m’interroge
intimement et profondément sur ces questions depuis déjà plusieurs
années. Est-ce mon rôle, en tant que législateur – quels que soient, sur
le plan personnel, mon désir ou ma situation – , de créer un ordre qui
prive, a priori, un enfant de père ? Est-ce prudent ?
Mon rôle,
en tant que législateur, n’est-il pas de créer un ordre dont je suis
sûre qu’il créera un ordre meilleur, plus épanouissant, pour ce qui
compte par-dessus tout, un enfant ? Et mon rôle n’est-il pas de
m’abstenir si je n’en ai pas la certitude ?
Madame la
ministre des solidarités et de la santé, vous avez avancé l’argument
que, dans la réalité, souvent cruelle depuis la nuit des temps, des
enfants se sont construits grâce à l’amour de leur mère, bien que privés
de père par les aléas de la vie – ce qui légitimerait l’absence du
père, consacrée dans ce texte. Je ne pense que cet argument soit solide
et valable. Ces enfants, nombreux en effet, s’ils se sont
construits dans la résilience malgré une situation malheureuse, sans
père, sont-ils pour autant plus heureux de ne pas en avoir eu ?
L’absence de père n’a-t-elle pas créé en eux des blessures, des
souffrances, des manques ? Personne ne peut nous le dire.
Le rôle
du législateur est de corriger des réalités injustes ou difficiles, et
non de créer un ordre incertain, qui pourrait engendrer de nouvelles
blessures. Quiconque dirait aujourd’hui avec certitude que créer un
ordre sans père n’aurait pas d’incidences sur l’enfant serait
omniscient. Or cette qualité n’est pas encore du ressort de notre
humaine condition.
Je souhaiterais également aborder la question des femmes seules, qui me touche plus intimement. Vous
dites que c’est une libération pour une femme seule de 40 ans que
d’avoir un enfant seule après avoir mené une carrière. Or, j’ai la
conviction profonde que c’est le contraire : nous allons créer une
aliénation, alors que notre rôle est de corriger cette erreur selon
laquelle une femme seule de 40 ans qui a fait carrière se retrouve
aujourd’hui dans l’impasse. Je ne crois pas que lui offrir la possibilité d’avoir un enfant seule fera son bonheur.
Pour
favoriser le bonheur des femmes, nous devons les informer dès l’âge de
20 ans qu’elles doivent tenir compte, dans leur projet de vie, de la
baisse de fertilité à partir de 35 ans. La société que nous devons
bâtir, dans laquelle les entreprises offriront l’égalité réelle que vous
voulez créer, sera une société de progrès si elle informe les femmes et
organise leur temps de travail et leur carrière en intégrant ce projet
de vie.
Tel est
le sens que nous devons donner à ce projet de loi, qui cherche à tort à
corriger un ordre insatisfaisant et injuste, dont moi-même je pâtis, et
qui ne parviendra pas, selon moi, à faire le bonheur des femmes.
Les
amendements que j’ai déposés visaient à mieux informer les jeunes
femmes, au début de leur carrière, de la nécessité de tenir compte de la
contrainte biologique dans leur projet de vie. Je regrette qu’ils
n’aient pas été acceptés, car ils auraient permis un vrai progrès social
et auraient contribué à libérer réellement les femmes.”